Cervières

 

Le Monument aux morts

 

 

 

Le onze Novembre, on fête en France L'Armistice qui marque la fin de la première guerre mondiale.Les commémorations se déroulent selon un cérémonial immuable avec discours, minute de silence, fanfares, drapeaux et dépots de gerbes devant le monument aux morts.

 

 Mais qui aujourd'hui se soucie encore de ces monuments dont l'esthétique est souvent décriée ? Ils sont devenus des silhouettes familières dans notre paysage, tellement familières qu'on ne les regarde même plus. Et pourtant la disparition progressive des derniers combattants de 1914-1918 doit nous amener à nous interroger sur la présence de ces monuments. On doit leur porter un regard nouveau car ils sont des lieux de mémoires : mémoire de nos villages, de nos villes, de nos familles ; sur leurs parois sont gravés des listes de noms témoignages d'une guerre cruelle. Ce sont des témoins de l'Histoire de notre pays , et des mentalités.

 

L'érection des premiers monuments aux morts en France, date de l'après-guerre franco-prussienne de 1870. Mais ils ne sont pas très nombreux et ils présentent une différence fondamentale avec les monuments de la Grande Guerre de 14-18 : ces derniers ont été érigés par la volonté communale et sur l'initiative de la population.

 

Entre 1920 et 1925, 36000 monuments aux morts ont été édifiés en France. C'est un phénomène sans précédent dans l'Histoire du monument public. Cervières et le canton de Noirétable se situent dans ce courant.

 

Mais le choix d'un monument, de son emplacement, n'était pas toujours aisé et était souvent révélateur des conflits politiques et religieux de l'époque . On peut dire que derrière chaque monument est inscrit la mémoire du « politique communal » . Tout symbole posé sur le monument, tout signe a une signification : certains voulaient marquer leur anticléricalisme (N'oublions pas que 1905 n'est pas si loin et que si la guerre fut le moment de la grande réconciliation nationale, les oppositions et les antagonisme générés par la loi de séparation de l'église et de l'état vont ressurgir à partir de 1919). en refusant d'implanter les monuments près de l'église ou en refusant les symboles religieux.D'autres au contraire vont maintenir une forme de réconciliation devant le désastre humain.

 

A la fin de la guerre l'église va spontanément prendre en charge sa part du grand deuil : à l'intérieur des églises on va apposer des plaques funéraires , mettre des vitraux

 

A Cervières l'église possède sur le mur ouest un vitrail dédié à Jeanne d'Arc et portant les noms des héros de la guerre ; c'est à la fois un hommage religieux et patriotique. A Noirétable une chapelle du nartex est consacré aux cultes des morts de la guerre .Dans l'église de la commune des Salles une très belle plaque en bois est installée .

 

Elle porte les noms de tous les morts de la communes et allie dans son message la foi et le patriotisme par ces termes « pro deo pro patria » . Cette plaque a été sculptée par Jean Ossedat curé de Pommiers . Le premier nom inscrit sur la liste est celui d'un homme d'église « Mr l'abbé Jean Perret curé ». Puis les noms suivants sont classés par année de décès.

 

Il est interessant de noter que l'hommage rendu par l'eglise a souvent précédé celui rendu par les autorités civiles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les monuments aux morts ont représenté pour les communes une lourde charge financière

 

A Cervières les archives en témoignent : au cours d'une réunion du conseil municipal du 6 Juin 1920, le maire de l'époque Joseph Chassain inscrit au budget additionnel de 1920 un crédit de 500 francs pour « l'érection d'un monument commémoratif aux enfants de Cervières morts pour la France ». Il ajoûte qu'une telle somme sera insuffisante pour , dit-il, « élever un monument digne de ceux qui sont tombés pour la défense du pays ».Il est alors proposé de lancer une souscription auprès des habitants de la commune, d'autant plus que « de nombreux poilus ont offert une obole assez importante pour honorer leurs camarades qui ne sont plus »

 

Le préfet de la Loire accepta la demande de souscription de la commune de Cervières et c'est au cours de la réunion du conseil municipal du 24 Juillet 1921 soit un an après que l'on en apprend davantage : « la souscription volontaire pour l'érection d'un monument commémoratif pour honorer les 10 enfants de Cervières morts pour la France a produit une somme de 3523 francs » . Malheureusement cette somme est insuffisante pour construire un monument « digne de ces 10 héros » Et la commune va demander une subvention au département et à l'Etat.

 

En effet le gouvernement français a voté une loi de finance le 31 juillet 1920 pour fixer le montant des subventions accordées pour les édifications , cela sous l'autorité des préfets. Un barême est appliqué tenant compte de deux critères pour calculer la subvention :

 

-une subvention basée sur le nombre de morts pour 100 habitants

 

-Un deuxième versement tenant compte de la richesse de la commune.

 

Autant dire que ce mode de calcul peu généreux et très inégalitaire va provoquer bien des discussions.

 

 

 

Voici l'état de la dépense pour l'érection du monument de Cervières tel qu'il apparaît dans le compte rendu du conseil municipal du 24 juillet 1921 :Le maire de Cervières s'était adressé à Monsieur Maisonneuve , marbrier à Noirétable. Il lui a demandé de dresser un plan de monument commémoratif et d'établir un devis détaillé. La facture s'élève à 5406 francs. Et monsieur Maisonneuve s'engage à « livrer ce monument tout posé, toutes fournitures comprises ». Le conseil municipal approuve le traité passé de « gré à gré » mais vu le montant du devis décide de voter une subvention supplémentaire et de demander la participation du département et de l'état.

 

 

 

Le prix 5406,50 francs

 

Les ressources :

 

1)Souscription particulière 3523 francs

 

2)Vote de la commune 1450 francs

 

3)Subvenbtion du département

 

a)fixe 100

 

b)complémentaire 9x1450 =130,50 soit 230,50 francs

 

100

 

4)Subvention de l'état

 

a) 10 morts pour 300 habitants 7x1450=101,50

 

100

 

b)complémentaire valeur du centimes pour 100 =101,50 soit 203 francs

 

5406 50 francs

 

 

 

 

 

Les subventions nationales et départementales ne représentent dans le budget de la commune que 8% de l'ensemble de la dépense.

 

On peut rajoûter enfin que pour financer leurs monuments certaines communes ont du contracter un emprunt, d'autres ont été aidées de manière substantielle par des mécènes ; à titre anecdotique on peut noter que ce sont les établissements Holtzer qui ont financé le monument aux morts d'Unieux.

 

En conclusion l'édification d'un monument nait réellement d'un élan populaire. Et l'on ressent ce besoin que toute une population a eu de rendre un hommage digne à ses morts, à tous ses martyrs. Ce sentiment est d'autant plus admirable qu'au lendemain de la guerre la France est en ruine, beaucoup de communes sont éprouvées sur le plan économique et cet hommage aux soldats disparus représente un gros sacrifice. Mais personne ne s'en plaint . Au contraire, ces monuments s'inscrivent dans un grand mouvement de solidarité : solidarité avec les compagnons morts au champ d'honneur, avec les souffrance qu'ils ont enduré et qu'il ne faut pas oublier et solidarité aussi avec les vivants pour les communes des régions les plus éprouvées : ainsi à Cervières, le 21 Mars 1921, à la suite d'une circulaire préfectorale, le conseil municipal vote un crédit de 50 francs, renouvelable pendant 2 ans pour être affecté à une commune des régions envahies. Cette somme sera honorée grâce à une imposition extraordinaire de 3 centimes par habitant qui sera mise en recouvrement pour 1921 et 1922.

 

 

 

La loi de Juillet prévoyait qu'une commission de contrôle devait veiller à ce qu'on ne confonde pas les monuments commémoratifs et les monuments funéraires qui seuls pouvaient être agrémentér d'emblèmes ou d'épitaphe religieux. Elle était chargée aussi de surveiller la qualité artistique des projets et éviter certains abus ; l'esprit de cette commisson est que le monument va devenir un ornement important des places publiques et il doit être digne de la mémoire des héros que l'on veut glorifier. La commission s'oppose à l'esprit mercantile et commercial qui peut émerger ; elle refuse certains projets fabriqués en série ; elle demande que les communes aux revenus modestes préfèrent une plaque commémorative esthétique plutôt q'un monument à bas prix et de mauvais goût; Elle a refusé certains projets ,comme celui de Champoly (cf Monique Luirard la France et ses morts, les monuments commémoratifs dans la Loire,page 29 Université de St Etienne, centre interdisciplinaires d'études et de recherches sur les structures régionales.).

 

La commune de la Chambonie a fait mettre une plaque commémorative posée sur la façade de l'église.

 

Mais comme on peut le voir sur le canton de Noirétable plusieurs communes ont fait fi des recommandations de cette commission : le monument de Noirétable, celui de Saint Julien, celui des Salles, celui de la Valla ont gravé sur leur paroi des symboles religieux généralement une croix.

 

A Cervières aucun signe religieux n'apparait ainsi qu'à Saint Didier et Saint Jean la vêtre.

 

 

 

Les monuments sont de différents types . On a vu que la Chambonie avait fait apposer une plaque. C'est le seul cas dans le canton. On dénombre trois « poilus »: à Cervières, à Noirétable et à St Didier/Rochefort (à noter que le monument de St Didier a été édifié avec la commune de la Cote en couzan). La Valla a fait ériger une stèle en granit surmontée d'une urne funéraire. Les Salles a installé une obélisque coiffée elle aussi d'une urne funéraire .Saint Julien et Saint Jean ont une obélisque en granit. (Il semblerait que Saint Priest la Vêtre n'ait pas de monument ni de plaque et Saint Thurin possède une stèle récente datée de 1992 ...à vérifier). Les monuments du canton de Noirétable sont tous différents. Les communes ont fait appel à des artistes ou des artisans divers .Pour trois communes au moins on connait le créateur du monument : pour Cervières on sait que c'est l'entreprise Maisonneuve de Noirétable qui a travaillé et conçu le monument. A Saint-Didier/la Cote en couzan le poilu a été crée par un artiste Ch. Pourquel sculpteur à Paris. Le poilu de Noirétable est signé Eugène Bénet.

 

 

 

 

 

 

 

Les établissements Perrin de Saint Julien la vêtre ont été des grands fournisseurs de monuments et cela dans tout le département de la Loire (cf :Monique Luirard).

 

Les informations et emblèmes à graver sur le monument peuvent varier d'une commune à l'autre mais dans l'ensemble il y a une certaine unité : tout d'abord le nom des victimes est inscrit . Généralement les noms sont classés par ordre alphabétique (Saint Julien la vêtre, Saint Didier) ou encore par année de décès (Cervières) Certaines communes précisent le jour du décès (la Valla). Le grade des officiers est marqué mais en aucun cas l'officier n'est inscrit en tête de liste (Noirétable, la Chambonie) ; les hommes sont égaux devant la mort .C'est à la fois le respect des individus et de l'égalité républicaine qui est mise en valeur. Certaines communes souhaitaient honorer leurs disparus en inscrivant leur nom sous leur photo dans un médaillon. Ces médaillons se sont dégradés avec le temps et lorsque cela est possible ils sont désormais déplacés vers la mairie ou dans l'église. Ainsi dans l'église des Salles il est émouvant de trouver sur un pilier une planche de bois sur laquelle ont été fixées les plaques photographiques des soldats morts.

 

Le nombre des victimes dans certaines communes est impressionnant : Saint Didier/la Cote

 

 

 

.Partout la croix de guerre apparaît ; Cette récompense militaire a été crée au cours de la guerre de 14-18 à la demande de Maurice Barrès ; cette médaille était destinée à commémorer les citations individuelles pour qu'un chef puisse récompenser les faits de bravoure sur le champ de bataille sans qu'il ne soit fait appel à des notions d'ancienneté ou de grade. C'est le député Driant qui le 28 janvier 1915 la baptisa de ce nom.

 

 

 

Couronne de lauriers, rameau d'oliviers ou de chêne sont présents sur tous les monuments représentant la victoire, la Paix et la gloire On retrouve aussi d'autres symboles : le drapeau emblème patriotique. Le casque du soldat est sculptée sur le monument de Cervières .Il est un symbole de puissance et représente un esprit belliqueux ; il est entouré par un rameau de chêne symbole de force, de puissance et par un rameau d'olivier symbole de paix

 

 

 

Beaucoup de monument sont dans un jardinet (la Valla) ou dans un enclos fermés où les obus font les piliers pour accrocher les chaînes (Saint Julien la vêtre) A Cervières le monument était entouré de chaines et de quatre obus.

 

 

 

C'érait une forme d'enclos sacré et seuls les personnages officiels pouvaient pénétrer cette parcelle de sol sacrée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans nos villages les monuments sont souvent installés au centre du bourg parfois devant l'église ,généralement sur une place.

 

Mais le choix du type et de l'emplacement du monument n'était pas innocent .Des débats houleux opposaient les partisans de la place de l'église, de la place publique du cimetiere... A Cervières on n'a pas de trace de discussion ni de débat sur ce sujet Le monument à l'origine était devant l'actuel batiment de la mairie en face de la croix. Il était entouré de quatre obus reliés par une chaîne.

 

Le poilu qui le domine est au repos les mains appuyées sur son fusil. C'est un poilu « réaliste » différent de celui de Noirétable qui est « héroïque »mais du même type que celui de saint Didier/ la Cote

 

Le monument de Cervières a été déplacé vers l'église où il se trouve actuellement bien plus tard pour des raisons de circulation et de gain de place.

 

Il faut noter que souvent les monuments étaient orientés : ils regardaient vers l'est, vers l'envahisseur, postés commes des sentinelles aux aguets.

 

 

 

Ces monuments ont été inaugurés par les hommes politiques qui ont voulu leur donner une signification parfois trop politique et donnant naissance à des conflits : certains y voient le maintien d'un esprit revanchard conduisant à une politique nationaliste interdisant la réconciliation des peuples ; les morts de la guerre sont considérés par certains comme des héros, mais dans le regard des autres ils ne sont que les victimes d'une grande boucherie provoquée par l'ambition des impérialismes (la Révolution de 1917 a provoqué un choc doctrinal). La paix des esprits est loin de naitre aux pieds des monuments. ; les monuments ont donné lieu à la n,aissance d'un culte patriotique mais il ne faut pas oublier que si au fil des temps la signification des monuments et du 11 Novembre a évolué rllr reste au départ un hommage des survivants de la guerre, des anciens combattants à tous leurs compagnons morts parfois dans des conditions atroces. Le 11 novembre a été ressenti par les anciens combattants avant tout comme la fin de la guerre , la fin des souffrances et le retour dans les foyers et ensuite comme la Victoire.

 

La guerre est tellement inhumaine qu'il fallait en marquer dans la pierre le souvenir pour que plus jamais cela ne se reproduise; Et ce n'est que bien après que le monument et le 11 Novembre ont pu prendre une connotation guerrière et être considérés comme les symboles d'une acceptation voire d'une glorification de la guerre.